Edito
Editorial
Quitter Haïti Geneviève Miral
Nul ne peut rester indifférent au drame qui touche Haïti. Les médias s’en sont largement fait l’écho, dans les jours qui ont suivi le séisme : images choc, témoignages d’une émotion intense, tout cela ne peut que toucher, émouvoir, chacun de nous.
Si nous sommes tous sensibles à ce que vivent actuellement les Haïtiens, nous le sommes plus encore si un lien particulier, intime nous rattache à ce pays : membres de l’importante diaspora haïtienne, familles adoptives dont l’enfant est originaire d’Haïti, familles en cours de procédure d’adoption d’un enfant haïtien.
Loin d’être indifférents à la situation de l’ensemble de la population haïtienne, ils ont plus particulièrement peur pour leurs proches, pour ceux qu’ils connaissent, pour ceux qu’ils aiment. À l’émotion, se rajoutent alors l’angoisse, le sentiment d’impuissance, la culpabilité de ne pas être auprès de leurs proches, l’immense douleur pour ceux qui ont perdu un membre de leur famille.
Qu’on leur reconnaisse ou non ce « droit », les familles qui sont en cours de procédure d’adoption d’un enfant haïtien sont, elles aussi, touchées violemment et intimement, et se sentent, elles aussi, angoissées, impuissantes, coupables. Certaines d’entre elles sont endeuillées suite à la mort de leur enfant.
Leur longue attente de l’arrivée de l’enfant s’est brutalement transformée en attente angoissée et en détresse. On peut comprendre alors leurs demandes d’évacuer au plus vite leurs enfants, leurs revendications, et leur colère contre les autorités françaises qui n’en feraient pas assez, qui seraient sourdes à leurs angoisses et insensibles à la détresse des enfants.
Mais notre empathie avec ces familles ne doit pas nous faire perdre de vue l’impérieuse nécessité, pour les enfants, de partir dans des conditions acceptables. Ces conditions ne sont pas uniquement d’ordre sanitaire et alimentaire, mais également psychique et juridique : l’adoptabilité de chacun d’entre eux doit être vérifiée et préparée dans tous ses aspects.
On voit déjà apparaître des soupçons de trafic, d’enlèvements d’enfants, et, leur emboitant rapidement le pas, un amalgame désastreux avec l’adoption.
Il est capital de pouvoir garantir l’identité des enfants, de s’assurer qu’ils sont bien apparentés avec telle ou telle famille, de permettre à l’enfant de comprendre ce qui lui arrive et qu’il se sente autorisé à partir, à se projeter dans un avenir familial.
S’inquiéter des conséquences d’une évacuation précipitée et non préparée des enfants n’est pas, comme on pourrait le croire, faire preuve d’attentisme, de frilosité et d’inconscience face à la gravité de la situation. C’est prendre ses responsabilités d’adulte pour protéger au mieux ces enfants et leur permettre de se construire dans un environnement sécurisé et adapté. C’est aussi reconnaître à Haïti, État souverain, la légitimité de décider des mesures qu’il estime indispensables pour autoriser le départ des enfants adoptables vers leur pays d’accueil.
Geneviève Miral Présidente d’Enfance & Familles d’Adoption
Membre du Conseil supérieur de l’adoption