La puberté précoce chez les enfants adoptés

La possibilité de la survenue d’une puberté précoce chez un enfant adopté est de mieux en mieux connue des familles adoptives et des médecins.
Toute croissance rapide chez un enfant adopté ne déclenche pas forcément une puberté précoce. Mais celle-ci nécessitant un traitement, il convient d’y penser pour ne pas passer à coté.

La puberté précoce, qu’est-ce que c’est ?

La survenue précoce de la puberté n’est pas l’apanage des enfants adoptés mais elle semble plus fréquente chez ceux venant de l’étranger ce qui reste un phénomène mal expliqué.
La puberté est une séquence de transformations visant à adapter l’organisme à sa fonction de reproduction. Elle est orchestrée par l’hypophyse, petite glande nichée au cœur du cerveau sous la dépendance de l’hypothalamus, qui déclenche tour à tour les sécrétions hormonales nécessaires. On ne parle donc de puberté précoce que lorsque l’ensemble des modifications sont mises en route et les examens pratiqués montrent toujours une élévation du taux sanguin des hormones sexuelles et des hormones gonadotropes.

La puberté se caractérise par l’apparition :

  • De caractères sexuels primaires qui correspondent à la maturation de la gonade (ovaire ou testicule) qui se met à secréter des hormones sexuelles et, au terme de cette transformation, sera en capacité de produire des gamètes (ovules ou spermatozoïdes). Les organes reproducteurs (pénis et l’ensemble utérus-vagin) se modifient aussi pour s’adapter à leur fonction ultérieure.
  • De caractères sexuels secondaires qui résultent de l’imprégnation par les hormones sexuelles responsables d’une transformation morphologique avec les variations que l’on connait selon le sexe : pilosité pubienne et axilaire, complétée par le visage et le torse chez le garçon, développement des seins chez la fille, répartition différente de la musculature et des masses graisseuses donnant une morphologie caractéristique (hanches chez la fille, carrure d’épaules chez le garçon).

On observe dans le même temps une accélération de la vitesse de croissance et de la maturation osseuse, la fin de la puberté signant aussi la fin de cette croissance et la détermination de la taille définitive.
L’enfant adopté plus ou moins hypotrophique à l’arrivée dans leur famille, reçoit alors une alimentation plus riche et équilibrée. On constate souvent un rattrapage staturo-pondéral rapide après leur adoption et c’est à la suite de ce rattrapage que se situe le démarrage de la puberté de façon précoce. La mise en route du processus et son déroulement complet expose donc ces enfants à une taille définitive petite, par soudure précoce des cartilages de conjugaison, à une maturation sexuelle précoce et aux conséquences psychologiques qui en découlent.

Les causes de la puberté précoce

On connaît mal les raisons pour lesquelles le risque de puberté précoce est plus grand chez l’enfant adopté que dans le reste de la population. Selon les études, elle toucherait près de la moitié des filles et moins d’un garçon sur 10. Il est plus fréquemment observé chez des enfants adoptés entre 4 et 7 ans que chez des enfants adoptés nourrissons.

Plusieurs facteurs sont avancés.


Facteurs nutritionnels

Lorsque l’enfant a subi une malnutrition et qu’il retrouve brutalement des conditions nutritionnelles favorables, on repère une croissance rapide dite « de rattrapage ».
Plus ce rattrapage est important plus le risque de puberté précoce augmente. La raison tient probablement à l’augmentation de la masse grasse et à la sécrétion de leptine, mais ceci n’est pas encore clairement démontré.


Facteurs psychologiques

Le bien-être psychologique permet le fonctionnement optimal des mécanismes hormonaux du cerveau. Ce phénomène est connu à l’inverse chez des enfants en carence affective majeure qui ne grandissent pas (nanisme psychosocial). Lorsque ces enfants retrouvent des conditions affectives favorables, ils présentent également une poussée de croissance brutale qui ne dépendrait pas seulement des conditions de nutrition.


Facteurs ethniques

On sait par des études américaines que les enfants américains d’origine africaine (noirs américains) ont un développement pubertaire plus précoce que les enfants américains d’origine européenne. Même si cette prédisposition n’est pas reconnue par tous les spécialistes, la relation avec l’âge de puberté du parent de même sexe a toujours été un facteur identifié ; or c’est une donnée dont on ne dispose pas dans le cas d’un enfant adopté.


Facteurs chronologiques

L’âge réel de l’enfant a parfois été mal apprécié et il s’agit alors de fausse puberté précoce.

Beaucoup de chercheurs de par le monde cherchent à mieux comprendre ce phénomène et des éclaircissements sur les mécanismes en cause seront probablement apportés par de telles études dans les années à venir.

Les symptômes

Ils sont constitués par le déclenchement avant 8 ans chez la fille, et avant 10 ans chez le garçon, de l’ensemble du processus par l’axe hypothalamo-hypophysaire : Croissance des seins chez la fille, augmentation du volume des testicules chez les garçons sont les premiers signes. Ensuite surviennent la croissance des organes génitaux (externes chez le garçon, internes chez la fille), la pilosité d’abord pubienne puis axillaire (aisselles) et l’accélération de la vitesse de croissance. Les règles chez les filles surviennent plus tard, 2 ans après le début en moyenne. L’augmentation des hormones hypophysaires est le signe d’une puberté d’origine centrale.

L’apparition de façon isolée de l’un ou l’autre signe (pilosité par exemple), est un signe de sécrétion d’hormone sexuelle par une glande sexuelle ou une autre, sans que l’hypophyse n’ait donné le top de départ. On parle alors de pseudo-puberté précoce car le mécanisme et le traitement sont différents de même que le retentissement sur la taille définitive. Nous ne l’évoquerons pas car il n’y a pas de fréquence particulière chez l’enfant adopté.

La puberté précoce survient majoritairement chez les filles. Rarement elle peut être due à une lésion au niveau de l’hypothalamus ou l’hypophyse, grands chefs d’orchestre de tout le système hormonal de l’organisme, mais le plus souvent aucun autre problème n’est retrouvé chez l’enfant qui présente cette puberté trop précoce.

Devant une suspicion de puberté précoce, le spécialiste demandera une série d’examens. Ils permettront de confirmer le diagnostic et de vérifier qu’il n’existe pas de cause repérable à cette précocité.

Ces examens comporteront schématiquement :

  • un examen complet de l’enfant
  • le report des tailles et poids du carnet de santé sur une courbe de croissance
  • des tests hormonaux sanguins pratiqués le plus souvent en hôpital de jour, parfois associés à des dosages urinaires
  • une radiographie de la main (âge osseux) et du crâne
  • une échographie pour les filles (pour examiner utérus et ovaires) et la mensuration précise des organes génitaux externes chez le garçon
  • selon les cas, une IRM ou un scanner cérébral.

Lorsque les signes débutent à un âge considéré comme ” physiologique ” (après 8 ans chez la fille et 10 ans chez le garçon) mais qui semble encore trop tôt pour la maturation de l’enfant, on parle de puberté avancée. Il n’y a pas de dysfonctionnement hormonal chez ces enfants mais les conséquences peuvent être les mêmes, et dans certains cas, un traitement se justifie.

Les conséquences

  • La taille définitive risque d’être réduite. Ceci est dû au fait que ces enfants n’ont pas fini leur « croissance d’enfance » et passent directement à l’ « accélération de croissance de la puberté », ils perdent ainsi des centimètres qu’ils auraient dû acquérir pendant l’enfance.
  • Conséquence d’ordre psychologique et social : Il est bien évidemment difficile à l’âge de l’enfance d’être confronté avec un corps d’adolescent tant pour l’enfant lui-même que pour l’entourage familial, scolaire, et social en général. Cela d’autant plus que surviennent, chez ces « enfants », les problèmes de comportement habituellement rencontrés chez les adolescents alors que du fait de leur histoire, leur maturation affective est restée plutôt en retard par rapport aux enfants de leur classe d’âge.
  • Dès que surviennent des signes qui peuvent faire penser à une puberté (croissance des seins, apparition d’une pilosité) il est souhaitable de consulter son médecin habituel qui orientera si besoin vers un spécialiste de l’endocrinologie pédiatrique.

Prévention

L’enfant doit être pesé et mesuré au moins tous les deux mois pendant la première année qui suit son arrivée. Une accélération de la croissance trop rapide, le développement des seins ou de la pilosité doit entraîner un contrôle de l’âge osseux.

La détermination de l’âge osseux par une radiographie de face de la main et du poignet gauches, est une précaution de base dans les mois qui suivent l’arrivée. Elle servira de référence et permet éventuellement de rectifier l’âge réel de l’enfant tout en sachant qu’en cas de malnutrition de gros retards d’âge osseux existent et qu’un rattrapage d’âge osseux suit le rattrapage de la courbe staturo-pondérale. Mais il ne doit pas le dépasser.

L’accélération de la maturation osseuse est un signe capital mais seul le dosage des hormones hypothalamo-hypophysaires permet de confirmer la mise en route de la puberté et donc d’affirmer le diagnostic de puberté précoce.

Pour résumer, la gravité tient au fait que la maturation osseuse va plus vite que la croissance. La croissance va plus vite que l’âge, c’est à dire par exemple, qu’un enfant au lieu de prendre 6 cm entre 7 et 8 ans, en a pris 12. Mais dans cette même période, son âge osseux est passé de 5 à 8 ans, or entre 5 et 8 ans, ce n’est pas 12 cm que l’on doit prendre, mais 18. On peut donc estimer la perte de 6 cm de manière définitive chez cet enfant, en l’espace d’une année.

Traitements

La puberté précoce doit d’abord être confirmée et affinée par une série d’analyses hormonales dont certaines consistent à évaluer la possibilité de freinage. Elle nécessite un traitement qui a pour but de bloquer le processus qui s’est mis en route ; il s’agit d’un produit efficace qui en prenant la place des hormones de la puberté, empêche celles-ci d’agir. Malheureusement ce produit n’existe que sous forme de piqûres (dans les fesses). Heureusement, une seule injection par mois suffit. Le traitement sera poursuivi jusqu’à ce que l’enfant atteigne un âge normal pour débuter sa puberté. A l’arrêt du traitement, le processus pubertaire reprend son cours là où on l’avait bloqué.

Actuellement deux produits sont utilisés en France : le Décapeptyl, et l’Enantone mais la recherche continue et d’autres produits sont susceptibles d’apparaître sur le marché.
Ces traitements n’ont que peu d’effets secondaires.

Certains cas de puberté avancée peuvent bénéficier du même traitement qui doit alors être étudié au cas par cas.

Témoignages

Tous les cas ne sont pas à traiter

À l’arrivée de notre fille alors âgée de 7 ans ½, nous ne pensions pas qu’elle serait concernée par une puberté précoce. Elle est née dans un département d’Outre-Mer et on nous avait remis le carnet de santé. Nous avions donc des éléments sur son évolution staturo-pondérale.
Rapidement, elle a commencé à se former et ce qui nous inquiétait un peu, nous ne la sentions pas prête à assumer cette transformation. Elle l’a formulé de différentes manières (écrits, inquiétudes, refus).
J’ai pris rendez-vous au CHU, même si on connaissait sa date de naissance, afin d’établir un bilan osseux.

Ce rendez-vous s’est très bien déroulé : le médecin a fait un historique des courbes de poids et taille, et nous a expliqué que la puberté de notre fille ne serait pas tardive, mais rien d’anormal et pas de traitement à envisager. Une radio du poignet a confirmé une avance d’environ 9 mois, mais pas de quoi s’alarmer. Notre fille a été heureuse de connaître l’évolution probable de sa taille. D’après les médecins son pronostic de taille est de 160 cm, ce qui est tout à fait normal pour une femme.

Cet épisode m’a permis de voir que la connaissance des antécédents ne dispense pas de certaines questions, auxquelles les spécialistes peuvent répondre simplement.
Une autre consultation nous a été proposée pour suivre l’évolution de notre enfant.
Au final, nous sommes satisfaits d’avoir fait cette démarche. Elle n’était pas compliquée et a rassuré parents et fillette.

Les possibles conséquences sur sa vie de femme

À son arrivée en France, notre petite fille d’origine bulgare, avait 8 ans ½ et mesurait 114 cm pour 21 kg (la moyenne, à 8 ans ½ est de 127 cm/25 kg).
Elle a poussé comme un champignon ! Au bout de 15 mois, elle a grandi de 20 cm et pris 13 kg !
On peut trouver ça super, et ça l’est. Cependant, cette croissance rapide entraîne une maturation osseuse rapide elle aussi. Les radiographies du poignet pour le calcul de l’âge osseux en témoignent.

Six mois après son arrivée, notre médecin nous a prévenus de la possibilité d’une puberté précoce. Et au retour des vacances, elle nous a rapidement orientés vers une pédiatre bien au courant de ces problèmes.
Après une échographie pelvienne et un certain nombre d’examens complémentaires (analyses d’urines et de sang, IRM), il s’est avéré que la puberté était bien et largement en cours et que si traitement il devait y avoir, il était urgent.
La pédiatre nous a expliqué que la puberté se déclenche en fonction de la maturation osseuse. Celle-ci a été accélérée du fait d’un apport important de protéines dans son alimentation, bien supérieur à celui qu’elle recevait auparavant. La pédiatre nous a aussi appris que ce phénomène se rencontrait souvent chez les petites filles adoptées ayant subi des carences alimentaires, et nous a laissé décider de lui faire suivre un traitement retardateur ou pas.
Marine avait alors un peu plus de 9 ans. Elle entrait au CP. Elle avait le développement mental et psychologique d’une enfant encore petite. Même si elle avançait rapidement dans la compréhension du nouveau monde qui l’entoure, il nous semblait difficile de lui faire accepter et comprendre cette évolution de son corps. D’autant que, ses seins ayant déjà poussé, et sa pilosité démarrant, elle éprouvait une certaine gêne. De plus, elle exprimait souvent son désir de rester « petite ». Elle n’avait pas encore « rattrapé » sa petite enfance ! Elle avait encore besoin de vivre une vie de petite fille et l’exprimait clairement.
Nous concevions également assez mal comment elle pourrait matériellement gérer ses règles dans sa classe de CP, dans une école où les WC ne ferment pas à clef !
Autre facteur de réflexion : elle n’avait pas encore atteint une taille conforme à son âge. Et la pédiatre nous a expliqué que la puberté ralentissait la croissance. Cependant, le traitement, lui aussi, va ralentir sa croissance, mais on peut espérer alors qu’elle dure plus longtemps.

En fonction de tout cela, nous avons décidé de lui faire suivre le traitement (une piqûre de « Decapeptyl » toutes les 4 semaines). Au bout de 4 mois, les examens ont montré une forte régression de la poussée pubertaire
Nous ne regrettons pas cette décision. Notre fille avait trop de choses à intégrer dans sa nouvelle vie, et surtout devait vivre sa vie de petite fille, avant d’être propulsée dans le monde de l’adolescence qu’elle ne pouvait encore appréhender. Elle n’était vraiment pas prête. Le bouleversement de son arrivée chez nous était encore trop récent. De plus, la psychologue qui la suivait pensait aussi que la puberté, à son stade de développement, serait un trouble supplémentaire qu’il valait mieux lui éviter.

La Revue Accueil

Accueil est une revue trimestrielle réalisée par EFA. C’est la seule revue française consacrée à l’adoption. Accueil propose des témoignages d’adoptés et d’adoptants, des textes émanant de travailleurs sociaux, psychologues, psychanalystes, sociologues, juristes, écrivains.

En savoir plus

Revues
Accueil n° 122, La puberté précoce, février 2002
BARON S., BATTIN J., DAVID A., LIMAL J.M., Puberté précoce chez des enfants adoptés de pays étrangers, Archives de pédiatrie, Volume 7, numéro 8, pp. 809-816, août 2000

Ouvrages
Dr CHOULOT et DIRIBARNE-SOMMERS H. , Le guide de l’adoption, Le Seuil, nouvelle ed. 2007-2008

Sur internet
Articles publiés sur le site www.meanomadis.com
Dr CHICOINE Jean-François, La puberté précoce et l’adoption internationale, nov. 2008
Dr CHICOINE Jean-François, Surveillance des enfants adoptés de l’étranger: le risque de puberté précoce, 2002