Edito
Editorial
Pour les enfants d’Haïti et d’ailleurs – Geneviève Miral
Difficile, quatre mois après le dramatique séisme qu’a vécu Haïti, d’établir posément un bilan de la situation et d’en tirer des enseignements pour le devenir de l’adoption dans ce pays. Les événements sont encore trop présents dans les cœurs et dans les têtes ; les enfants apparentés n’ont pas tous rejoint leur famille ; les revendications, les prises de position et la passion sont encore au cœur des débats et entravent notre capacité à nous projeter dans une réflexion de fond, que nous soyons des familles, des professionnels, des associations ou des institutionnels.
Et pourtant, ce douloureux événement a mis en lumière des fragilités qu’il nous est impossible de passer sous silence et de ne pas prendre en compte. Faiblesses de la procédure haïtienne (conditions de prise en charge des enfants, manque de contrôle des crèches, procédure post apparentement longue et complexe, manque de transparence et de sécurisation dans certaines crèches, peu ou pas de préparation à l’adoption pour certains enfants, etc.), mais aussi fragilités du dispositif français de l’adoption internationale dans le premier pays d’adoption pour ses familles :
- un nombre très important de candidats dispersés sur plus d’une cinquantaine de crèches ;
- des organismes autorisés pour l’adoption (OAA) également dispersés sur plusieurs crèches à la fois, souvent en compétition entre eux, sans véritable coordination ni réelle entente ;
- une dispersion des interlocuteurs ;
- des difficultés à obtenir une lisibilité sur la situation des enfants dans chaque crèche ;
- des dysfonctionnements importants : absence de doubles des documents dans les OAA, manque de recul de certains OAA, difficulté à gérer une situation de crise, insuffisance de l’accompagnement, problèmes de coordination et de communication de la part des services et des ministères concernés.
Tous ces éléments devraient nous inviter à prendre nos responsabilités et à repenser, sans tabous, l’organisation de la France en matière d’adoption internationale, notamment dans un pays aussi fragilisé qu’Haïti.
C’est à la France, pays de droit, partie à la convention de La Haye, ayant des responsabilités particulières envers les pays d’origine, de s’assurer que ses opérateurs respectent les enfants d’Haïti et leurs familles, défendent et promeuvent certaines valeurs en matière de protection de l’enfance en général et d’adoption en particulier. Et cela devrait s’inscrire dans une politique comprenant, entre autres : un volet de coopération avec l’État haïtien (protection de l’enfance – prise en charge et suivi des enfants, soutien des crèches –, procédures d’adoption, etc.), la réorganisation du cadre français de l’adoption internationale et, au-delà de nos frontières, une réelle concertation entre les pays d’accueil concernés.
De nombreuses pistes de réflexion sont possibles aujourd’hui :
- un encadrement des démarches individuelles dans les conditions actuelles de l’adoption en Haïti ;
- une clarification de l’organisation et du mode d’intervention des OAA, s’appuyant sur un cadre de conventions d’objectifs et de moyens ;
- l’intervention de l’AFA comme opérateur public permettant ainsi aux personnes correspondant aux critères définis par Haïti de se porter candidats à l’adoption, en particulier lorsqu’il n’existe pas dans leur département ;
- le partenariat et l’encadrement des crèches par les OAA doivent être améliorés, des conventions avec un cahier des charges devraient être établies avec les crèches pour assurer une prise en charge de qualité des enfants, prévoir la formation du personnel, garantir la transparence financière et améliorer l’accompagnement des familles.
Enfin, cette réflexion ne peut se mener, de façon plus globale, sans interroger notre dispositif de préparation des parents et d’accompagnement des familles adoptives. Si des mesures concrètes de préparation et d’accompagnement, réclamées de longue date par EFA, sont nécessaires à toute adoption, elles s’avèrent indispensables dans des situations d’exception comme celle vécue récemment en Haïti.
Ce questionnement de nos pratiques, nous le devons aux familles mais surtout aux enfants. Pour qu’ils soient assurés que tout a été fait dans leur intérêt, en prenant en compte leurs besoins réels. Pour qu’ils soient rassurés sur leur adoptabilité, sur leur prise en charge dans leur pays de naissance, et enfin, pour qu’ils puissent « faire famille » sans l’ombre d’un doute sur les conditions de leur arrivée.
Geneviève Miral, présidente d’Enfance & Familles d’Adoption et Membre du Conseil supérieur de l’adoption