Déchéance de nationalité : inquiétude des familles adoptives (25 janvier 2016)

La fédération Enfance & Famille d’Adoption (EFA) s’émeut de la proposition de réforme tendant à introduire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les personnes binationales, nées françaises, condamnées pour une atteinte grave à la vie de la Nation. Forte d’une expérience de plus de 60 années, EFA  témoigne de la richesse de la binationalité au sein des familles adoptives, notamment telle qu’elle peut résulter de l’adoption (internationale) d’un enfant et s’inquiète légitimement de la portée symbolique d’une réforme qui inscrirait dans la Constitution une discrimination entre Français de naissance et stigmatiserait une partie de la population.

Quelques éléments d’analyse

Notre législation actuelle permet déjà à l’autorité administrative de prononcer la déchéance de nationalité, notamment à l’encontre de personnes condamnées pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Cette mesure concerne les personnes ayant “acquis” la qualité de Français pour l’avenir au cours de leur vie et non les personnes nées françaises (ou assimilées à des personnes nées françaises, tels les enfants étrangers adoptés en adoption plénière par un Français), dont la nationalité française est dite “d’origine”. Par ailleurs, la déchéance de nationalité est exclue à l’égard des personnes n’ayant que la nationalité française, une telle mesure les rendrait apatrides, ce qui est interdit par les conventions internationales auxquelles la France a adhéré. C’est pour ces raisons que ne sont aujourd’hui concernés que les binationaux ou multinationaux ayant une nationalité française « acquise ».

Le projet défendu par le gouvernement, en tant qu’il envisage d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité, étendrait cette possibilité aux Français “d’origine” binationaux. La consécration solennelle de cette distinction dans la Constitution, quels qu’en soient  les motifs juridiques, introduirait, sur le plan symbolique et dans l’imaginaire collectif, une césure entre les Français, selon qu’ils sont mononationaux ou binationaux. Le principe de la déchéance de nationalité figurerait alors dans la Constitution au même titre et au même niveau que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou que le préambule de la Constitution de 1946 (égalité homme-femme, droit de grève, accès pour tous à l’éducation …).

Comme tous, nous avons été horrifiés et meurtris par la violence terroriste qui a fait tant de victimes en 2015 (et qui, aux côtés d’autres plaies, fait des victimes dans d’autres pays aussi, dont des pays d’origine de nos enfants). Nous comprenons que des mesures soient prises pour protéger tous les citoyens, nous-mêmes et nos familles compris. Mais cette protection doit s’accompagner d’une vigilance républicaine redoublée: il est plus que jamais important de s’assurer que les principes de fraternité, de liberté et d’égalité soient réaffirmés et non pas fragilisés. Il est indispensable d’assurer une cohésion entre tous les citoyens et de ne pas introduire l’idée que certains seraient moins égaux que d’autres, plus suspects de “terrorisme potentiel” que d’autres, du fait que, nés, Français ils ont aussi une autre nationalité. Or dans de nombreuses familles, binationaux et nationaux se côtoient : personnes nées en France et dont l’un des parents est binational, personnes nées dans un autre pays de deux parents mononationaux, personnes adoptées à l’international.

Pour ceux des adoptés qui conservent aussi leur première nationalité, c’est le choix de leur pays d’origine de leur conserver leur nationalité de naissance. Il serait regrettable que cette binationalité qui constitue une trace de leurs origines et de leur histoire et qui ne les empêche en rien de se sentir pleinement Français soit perçue comme un stigmate. C’est également parce que, pour ces enfants, l’adoption plénière leur confère de naissance la nationalité française de leurs parents adoptifs, que nous nous battons pour qu’elle soit systématiquement prononcée pour tous les enfants adoptés à l’international.

Le Premier ministre lui-même considère cette mesure comme purement symbolique, destinée à envoyer un message fort. Lequel? Car le risque est que le message reçu ne soit pas celui que le gouvernement pense envoyer. Le risque est que cette inscription dans la Constitution introduise de manière insidieuse dans l’esprit des gens l’idée que les binationaux sont assimilables à des terroristes ou, inversement, que l’on trouve les terroristes principalement parmi les binationaux. La Constitution doit rester le cadre au sein duquel tout Français doit pouvoir se reconnaitre, qui doit affirmer des valeurs communes, et non créer des sous-catégories de Français.

Enfance & Familles d’Adoption, 25 janvier 2016