Les risques de la prématurité

Pour tout enfant, le moment de la naissance est un véritable chamboulement physiologique puisqu’il doit prendre en charge ses propres fonctions vitales jusque-là assurées in utero par sa mère. L’enfant né à terme est parfaitement armé pour faire face à cette échéance et, s’il peut exister des petits problèmes de démarrage, cette étape se passe la plupart du temps sans souci. Il n’en est pas de même pour le prématuré…

Des dysfonctionnements organiques selon le degré de prématurité

Né avant terme, c’est-à-dire avant 37 semaines d’aménorrhée, les différents organes sollicités chez le prématuré sont, par essence, immatures et vont présenter des dysfonctionnements selon le degré de prématurité. Ces difficultés d’adaptation expliquent d’une part les pathologies de la période néonatale précoce et leurs conséquences, mais d’autre part les séquelles à plus long terme qui constituent l’incertitude de développement, au cœur des projets d’apparentement et d’adoption.

La respiration : « pousser son premier cri », pas si simple ! Cela demande une énergie musculaire importante, puis, pour que la respiration soit efficace, des alvéoles pulmonaires en capacité de se déplisser pour absorber l’oxygène et rejeter le gaz carbonique. Cette maturité s’installe entre la 32e et la 36e semaine et, à défaut, on aura recours à une ventilation artificielle plus ou moins sophistiquée qui, bien qu’adaptée à la fragilité pulmonaire du prématuré, comporte des risques de lésion.

La circulation sanguine : pendant la vie intra-utérine, le sang arrive et repart par le cordon ombilical, empruntant un circuit particulier avec des courts-circuits entre le cœur droit et le cœur gauche. À la naissance, le circuit change et surtout les communications droite-gauche doivent se fermer pour éviter le mélange du sang oxygéné avec le sang désaturé. Ces fermetures se font grâce à la pression dans la cage thoracique liée à l’installation de la respiration, mais elles impliquent aussi la musculature du cœur et des vaisseaux sanguins. La prématurité peut donc être à l’origine d’un retard de fermeture de ces courts-circuits sanguins, responsable d’un surcroît de travail pour le cœur qui pourra se résoudre spontanément ou nécessiter un traitement médicamenteux ou chirurgical.

L’alimentation : le premier réflexe du nouveau-né est de chercher à téter pour se nourrir. Une succion de bonne qualité nécessite des muscles toniques et une bonne coordination avec la déglutition, ce qui n’est pas encore au point chez le prématuré. On va donc devoir lui apporter directement dans l’estomac le lait qui fournira les calories indispensables à sa croissance et l’énergie requise pour toutes ces fonctions à mettre en route. Au-delà de l’estomac, l’intestin doit assurer l’absorption des nutriments utiles et cela passe par une muqueuse encore fragile qui n’est pas encore prête. La digestion reste une étape délicate qui peut aussi donner lieu à des réactions inadaptées venant s’ajouter aux problèmes d’adaptation du prématuré.

Au niveau du cerveau, l’immaturité aura des conséquences qui peuvent être dramatiques si elles ne sont pas compensées. Le tronc cérébral, en particulier, est chargé du déclenchement de tous les mouvements automatiques qui assurent la survie : la régularité des battements cardiaques, les mouvements respiratoires, la régulation de la température du corps, toutes ces actions auxquelles on ne pense plus tant elles sont automatiques, mais qui sont pourtant indispensables, et cela ne va pas de soi ! Il en découle des bradycardies (ralentissement du rythme cardiaque au-dessous de la normale), des pauses respiratoires si impressionnantes dans cette période néonatale précoce.

Par ailleurs, les attaches du cerveau dans la boîte crânienne, les méninges qui l’entourent, sont, elles aussi, fragiles et peuvent saigner à tout moment. Ces hémorragies intracrâniennes sont plus facilement déclenchées par le stress, les pleurs soutenus, et les manœuvres douloureuses ou occasionnant une surpression à l’intérieur du crâne. Selon la localisation de ces hémorragies, leur importance et leur capacité de résorption, des séquelles visibles ou non seront à craindre et à surveiller.

À l’immaturité de ces grandes fonctions vitales, s’ajoute celle d’organes plus discrets mais non moins importants : le foie responsable de la « jaunisse » du prématuré, le rein dont la fonction peine parfois à s’adapter à l’apport de protéines et d’eau, le système immunitaire peu performant qui fragilise le prématuré face aux infections, la peau qui a bien du mal à ne pas laisser filer la chaleur, l’eau, etc.

La période néonatale précoce

Les premières semaines du prématuré risquent donc d’être émaillées d’épisodes plus ou moins graves, pouvant mettre en jeu son pronostic vital, et nécessitant des techniques de réanimation plus ou moins agressives, souvent douloureuses. C’est une période délicate pour tout prématuré mais qui l’est sans doute davantage pour l’enfant abandonné à sa naissance qui n’a personne pour l’aider à traverser cette phase, quelle que soit l’attention toute particulière que lui porte en général le personnel hospitalier du fait de sa situation de « bébé isolé » et l’accompagnement des référents des services d’adoption. Cependant, c’est une période dont on connaît bien les étapes qui, pour les enfants nés en France, seront recueillies dans le dossier médical auquel les futurs parents pourront se référer et qu’ils pourront se faire expliquer.

Dépistage et prise en charge face aux risques potentiels connus

Les risques étant connus, les lésions seront recherchées de façon systématique pour mettre en place les soins et rééducations dès que nécessaire. Ce sont ces séquelles immédiatement détectables qui seront précisées au moment de la sortie de néonatalogie.

  • L’atteinte pulmonaire peut faire le lit des bronchiolites à répétition, de l’asthme du nourrisson et imposer des précautions dans les premières années de vie de l’enfant : éviter l’accueil en collectivité avant 3 ans, éviter les atmosphères polluées (tabagisme, gaz d’échappement, brouillard), soigner rapidement toute infection ORL pour éviter la surinfection bronchique. Cette fragilité respiratoire s’atténue en général après 4 ans, bien qu’il puisse exister des passages vers une maladie asthmatique classique.
  • L’immaturité musculaire retentit sur la tonicité des sphincters et notamment de celui de l’estomac qui empêche les remontées de lait dans l’œsophage ; c’est le reflux gastro-œsophagien quasi physiologique chez le prématuré mais souvent douloureux et parfois responsable d’autres troubles tels qu’une œsophagite, des bradycardies ou des pauses respiratoires qui vont mettre du temps à s’estomper.
  • Les épisodes d’intolérance digestive, voire d’entérite, nécessitent parfois une mise au repos digestif, voire une intervention chirurgicale. Elle peut être suivie d’une période d’intolérance aux protéines du lait de vache le plus souvent transitoire. Le nourrisson sera alors nourri exclusivement avec un lait de régime pour une période couvrant toute la première année, la réintroduction d’un lait normal devant se faire de façon très progressive et surveillée.
  • Du côté du cerveau, si des hémorragies ont été détectées, il est possible que les conséquences en soient rapidement visibles : hémiplégie, anomalies du tonus musculaire, hydrocéphalie par blocage de la circulation du liquide céphalo-rachidien, atteinte oculaire. Ces risques sont bien connus et des examens itératifs sont réalisés pour les dépister et les prendre en charge le plus vite possible. Ils peuvent donc faire partie du tableau connu à la sortie de l’hôpital. Pour autant, il n’y a pas de corrélation directe entre les lésions repérées sur une échographie, une IRM, et les conséquences physiques ou mentales ultérieures. Le cerveau du nouveau-né possède une grande plasticité qui lui permet de récupérer des fonctions normales, même lorsque les lésions anatomiques semblent importantes.

À l’inverse, des lésions microscopiques, non repérées sur l’imagerie médicale, peuvent être responsables de séquelles bien plus graves si elles sont situées sur une zone stratégique ou si le cerveau n’a pas pu les contourner pour arriver à un fonctionnement correct. C’est la raison pour laquelle il reste toujours une incertitude sur le développement à venir des prématurés.

La Revue Accueil

Accueil est une revue trimestrielle réalisée par EFA. C’est la seule revue française consacrée à l’adoption. Accueil propose des témoignages d’adoptés et d’adoptants, des textes émanant de travailleurs sociaux, psychologues, psychanalystes, sociologues, juristes, écrivains.

Le devenir de l’enfant prématuré

Au fur et à mesure du développement psychomoteur de l’enfant, le système nerveux crée les circuits dont il a besoin. C’est donc tout au long de la petite enfance que les séquelles de la prématurité pourront se révéler, à l’âge où les différentes fonctions devront se mettre en place. D’un point de vue général, on considère qu’il faut attendre 7 ans pour s’assurer de l’absence de séquelles chez un ancien prématuré, et il est maintenant habituel, en France, de surveiller ces enfants régulièrement et systématiquement jusqu’à cet âge. Pour autant, il n’est pas pensable d’attendre sept années pour faire un projet d’adoption pour un bébé abandonné à sa naissance parce qu’il a eu la « mauvaise idée » de naître avant terme.

Les séquelles les plus précoces à se manifester sont d’origine motrice. Durant sa première année de vie, le nourrisson acquiert des compétences musculaires qui lui permettent de se redresser : tenir sa tête, se retourner, tenir assis, se relever, puis marcher. Tout retard dans l’acquisition de ces différentes étapes peut être le signe d’une lésion cérébrale autour de la naissance mais c’est rarement avant 8 mois qu’un diagnostic est posé. On parle alors d’infirmité motrice cérébrale (IMC) dont l’importance varie en fonction de l’étendue et de l’intensité des fonctions atteintes. Un diagnostic précoce et une prise en charge soutenue et adaptée permettent de limiter les atteintes et d’espérer une récupération au moins partielle. En effet, le cerveau du petit nourrisson, grâce à sa grande plasticité, est capable de créer des circuits de dérivation sous l’effet d’une rééducation bien conduite.

Les anomalies qui apparaissent plus tardivement sont les moins lourdes

À mesure que le temps passe, ce sont des anomalies plus légères qui sont susceptibles d’être dépistées :

  • troubles de la motricité fine qui affectent les mouvements précis des mains tels que boutonner son manteau, nouer ses lacets, mais qui vont aussi rendre l’écriture délicate,
  • troubles de la coordination qui impactent les mouvements plus complexes (verser de l’eau dans un verre, tracer un trait à la règle),
  • troubles visuels liés un strabisme (d’origine musculaire) et/ou à des défauts de coordination des mouvements oculaires,
  • troubles du langage oral et écrit entrant dans la sphère des dyslexie, dysphasie et dyspraxie.

Enfin, ce sont les fonctions cérébrales plus complexes qui intègrent l’abstraction, la réflexion, la déduction, la mémoire qui peuvent être en partie altérées et faire le lit de troubles des apprentissages.

Les naissances prématurées chez les futurs pupilles de l’État sont plus fréquentes que dans la population générale. Que ce soit des bébés nés sous le secret ou des enfants arrivés plus tardivement au statut de pupille après une période de carence de soins et de délaissement, ils sont souvent issus d’une grossesse peu ou mal suivie. Les progrès techniques en réanimation néonatale dont ils bénéficient ont des conséquences bien connues et identifiées en période néonatale. Il reste cependant toujours une part d’incertitude sur le développement ultérieur de ces enfants qui découle autant de l’absence de corrélation entre les lésions visibles à l’imagerie (échographie, scanner, IRM) et les signes cliniques qui pourront être décelés plus tard, que des capacités individuelles de récupération. Paradoxalement, l’amélioration constante des techniques d’examen met en lumière des « anomalies » qu’il est parfois difficile de classer entre pathologie et variante physiologique et pour lesquelles seul l’avenir peut faire la part des choses. C’est une variable de plus à prendre en compte dans ces apparentements sensibles où il faut naviguer entre la « négation des risques inhérents à la prématurité » et « l’ouverture de parapluies à tout va ».

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