Attendre en institution

Lorsqu’un enfant est recueilli dans un foyer ou un orphelinat, on pourrait penser qu’il est sorti d’affaires. Bien sûr, il est à l’abri de la violence, du besoin, de la maltraitance, de l’indifférence. Il aura alors la possibilité de manger à sa faim, d’être soigné, de vivre une vie correcte que d’autres lui envieront ; mais pour autant, ce « havre de paix », aussi bénéfique soit-il, comporte certains manques. Et l’enfant qui y attend une famille pour la vie va en subir les conséquences, sous forme de carences qui doivent être connues des futurs parents et des médecins traitants qui auront à l’accueillir.

Des carences affectives

Nous ne parlerons pas ici des carences affectives qui, à elles seules, pourraient faire l’objet de plusieurs articles. Elles sont évidentes et viennent, à des degrés divers, réactiver le sentiment d’abandon de ces enfants que la vie a séparés de ceux qui les ont mis au monde. Entre la famille biologique qui les a « lâchés » et la famille adoptive qui n’est pas encore arrivée, il existe un grand moment de solitude que même les meilleures équipes ne peuvent combler en totalité.

Des carences nutritionnelles

Elles sont d’abord d’ordre alimentaire. Même les meilleurs orphelinats des pays en voie de développement ont des moyens limités et si les enfants reçoivent une alimentation en quantité suffisante pour satisfaire leurs besoins caloriques et éviter, voire compenser une dénutrition, sur le plan qualitatif, l’équilibre est loin d’être optimal.

Le lait, principale source de protides, est souvent coupé d’eau pour des raisons économiques. Les laitages et le fromage ne font pas partie des habitudes alimentaires, et la viande est un luxe dont on ne peut profiter tous les jours. Pourtant les protides servent à fabriquer le muscle et cette carence va entraîner une malnutrition qui touche une grande majorité des enfants. Responsable du gros ventre, de l’aspect « bouffi » du visage qui donne une fausse bonne impression, cette malnutrition peut aussi s’accompagner de retards psychomoteurs par manque de muscles. Difficile de tenir assis, de marcher, quand les muscles ne vous soutiennent pas.

Pour compenser, les enfants reçoivent une alimentation riche en farines, sources de calories bon marché et garantissant une satiété à peu de frais. Ces farines ont le défaut de réduire l’absorption du Fer ; celui-ci, apporté essentiellement par la viande, étant déjà en quantité insuffisante, il s’en suit une anémie banale chez la plupart des enfants. Cette anémie, si elle se guérit bien avec des apports médicamenteux, rend l’enfant plus sensible aux infections. Pas facile alors d’éviter les virus et microbes ambiants.

Les lipides ou graisses, beurre, huile ou crème, ne font pas partie de l’alimentation de base et pourtant ils contiennent des constituants indispensables pour les cellules nerveuses. C’est la raison pour laquelle les grandes malnutritions peuvent laisser des séquelles neurologiques, que l’on retrouve plus tard, au niveau de l’apprentissage notamment.

Du côté des vitamines, les fruits et légumes frais et crus, sources de vitamine C, ne sont pas non plus au menu des petits orphelins. Vous imaginez éplucher 60 oranges ou 30 mangues ? Les compotes et les fruits en boîte, bien plus pratiques, sont dépourvus de vitamines. Le déficit en vitamine C rend, lui aussi, l’organisme plus sensible aux infections.

Quant à la vitamine D, nécessaire à la construction osseuse, on la trouve dans le beurre frais (ou l’huile de foie de morue chère à nos grands-parents). Le corps est cependant capable de la synthétiser au niveau de la peau sous l’effet du soleil. Or, les enfants sont rarement exposés au soleil. D’abord parce que, dans les pays chauds, il est plutôt considéré comme un ennemi, du fait des risques de déshydratation et de coup de chaleur. Ensuite, parce qu’il n’est pas simple d’aller se promener avec une vingtaine de gamins. Il faudrait des jardins dans tous les foyers, et que les enfants puissent profiter du soleil, au minimum les bras nus ! Au final, nombreux sont les enfants qui présentent des petits signes de rachitisme à leur arrivée, majorés par la poussée de croissance qu’ils font en général dans la première année qui suit leur adoption. Aussi, un régime riche en laitages (calcium et protides), complété par un apport de vitamine D est souvent de mise pour compenser ces carences.

Manque de stimulation et de limites

D’autres besoins n’auront pas été comblés pendant cette période de vie en collectivité. Pour grandir, un enfant a aussi besoin d’être guidé dans ses découvertes, d’être stimulé pour apprendre, d’être « contenu » pour sa sécurité tant physique qu’affective.

Pour progresser sur le plan psychomoteur, l’enfant, comme n’importe quel « petit », a besoin d’un « moteur »; l’instinct de survie est parfois sa première motivation, ce qui explique la capacité d’autonomie et l’absence de retard psychomoteur chez les enfants livrés à eux-mêmes. Une fois à l’abri dans une structure qui lui assure la sécurité, le gîte et le couvert, il perd ce moteur. Les plus « dominants » vont tenter de s’opposer aux autres et de s’appuyer là-dessus pour avancer ; les plus fragiles ou fatigués vont laisser tomber et « se la couler douce ». Pourquoi chercher à aller de l’avant ? Pour qui ? Sans motivation affective pour progresser, certains enfants accumulent les retards dans bien des domaines : moteur, langagier, relationnel…

Entre 18 mois et 4 ans, le jeune enfant qui découvre l’autonomie grâce à la marche part à la découverte de son environnement et fait des expériences qui lui permettront de forger sa personnalité. Il a besoin, à ce stade-là, d’un adulte pour lui poser des limites lorsqu’il se met en danger, ou simplement pour apprendre les règles de vie sociale. De plus en plus, les enfants proposés à l’adoption internationale ont passé cette période en institution. Ils n’ont donc pas été confrontés à ces limites. Les locaux dans lesquels ils vivent sont conçus pour minimiser les dangers ; pas de cuisine avec ses couteaux et ses plaques chaudes, pas de salle de bains avec des flacons colorés à vider dans la baignoire, pas de bibliothèque avec ses rangées de livres à faire tomber…

Imaginez un enfant qui n’aurait connu que la crèche, il devient vite un ouragan dans un appartement ! Quant aux règles de vie sociale, ils les ont apprises « sur le tas » : c’est celui qui crie le plus fort qui sera servi en premier, et les compagnons de chambre sont rarement des copains de jeux. À cet âge, on ne se sait pas jouer avec les autres sans l’intervention d’un adulte. Et pourtant, jouer c’est déjà apprendre, mais ce n’est pas une priorité pour le personnel surchargé, qui de surcroît, ignore parfois l’importance comme les bienfaits des activités ludiques.

Des ajustements nécessaires à l’arrivée de l’enfant

Quant aux contacts avec l’extérieur qui permettent à l’enfant de découvrir le monde, son seul univers se résume à son institution et le personnel qui va et vient. Sa vie jusqu’à son adoption est plus proche de celle des moines cloîtrés, sans tentation mais sans frustration non plus. Et ce n’est qu’avec ses futurs parents qu’il découvrira tout ce qui n’est pas « sa chambre, sa salle de jeux, sa nounou référente ».

Le monde est plein d’odeurs, de bruits, de sensations de toutes sortes, mais aussi de tentations, de dangers, de lieux et de personnes à découvrir. Tout est nouveau pour lui qui aimerait partir à la découverte, et c’est là que ses parents devront jouer les « gendarmes », à une période où ils n’aspirent qu’à le câliner et lui donner l’amour dont il est supposé avoir manqué.

Cette étape de l’accueil d’un « petit-moyen » où il faut poser des limites en même temps que créer un lien d’amour est difficile à vivre pour les parents, surtout s’ils n’y ont pas été préparés. Ils se retrouvent face à un enfant en pleine phase d’opposition (2-3 ans), qui les met parfois en situation délicate ; que ce soit lorsqu’il touche à tout ce qui passe à sa portée ou à l’occasion d’une promenade en ville, où il voudra pousser toutes les portes et entrer chez les voisins.

Cette période demandera beaucoup de souplesse et de tolérance aux parents, mais aussi à l’entourage qu’il est préférable d’informer.

En savoir plus

Accueil n° 163, Le temps de l’adoptation, Juin 2012.

Chicoine, J. F. ; Germain, P. ; Lemieux, J. : L’enfant adopté dans le monde (en 15 chapitres et demi), Montréal, Hôpital Sainte Justine, 2003.

Site de l’OMS sur l’état nutritionnel des enfants dans le monde

http://www.who.int/features/factfiles/nutrition/fr/index.html

Site de l’UNICEF sur l’état nutritionnel des enfants dans le monde

http://www.unicef.org/french/nutrition/index.html