L’acquisition de la propreté

Voilà un sujet qui n’a rien de spécifique à l’adoption ! Pourtant, il préoccupe bien des parents, sans doute du fait de l’âge plus avancé des enfants au moment de leur arrivée. La propreté, sésame pour l’entrée à l’école, peut même devenir source d’angoisse pour ceux qui sont soucieux de ne pas « perdre de temps ». Avant de s’impatienter, mieux vaut essayer de comprendre les mécanismes.

Comment ça marche ?

Les urines sont produites en continu par les reins, et la vessie joue un rôle de réservoir. Elle est fermée par un sphincter qui est en réalité double.

Le premier sphincter est réflexe, en dehors de tout contrôle de la volonté ; c’est une sorte de porte automatique qui s’ouvre lorsque la pression a atteint un certain niveau.

Le second, quant à lui, peut être commandé par le cerveau qui décide soit de le relâcher pour permettre la miction, soit de le contracter pour retenir les urines dans la vessie. Pour cela, il est relié par des connexions nerveuses qui se mettent en place progressivement, et ne sont effectives et opérationnelles que vers 2 ans. En effet, les connexions neurologiques sont incomplètes à la naissance, et c’est au fur et à mesure du développement psychomoteur de l’enfant que les neurones cheminent vers l’organe qu’ils sont censés commander. Classiquement, la commande de la propreté est en place environ un an après celle de la marche lorsque l’enfant monte un escalier en alternant les pieds. Il est donc assez normal d’observer un décalage dans l’apprentissage de la propreté chez un enfant qui présente un certain retard psychomoteur, comme souvent chez les enfants qui ont souffert de carences et ont été peu stimulés dans leurs premières années.

Des enfants qui n’ont pas appris à « écouter » leurs sensations

Adoptés entre 2 et 3 ans après une longue période de vie en institution, il n’est pas rare qu’ils commencent tout juste à marcher à leur arrivée ; si l’on rajoute une période de régression, on ne peut guère compter sur une acquisition de la propreté diurne dans l’année qui suit l’arrivée.

Car une fois que les circuits neurologiques sont en place, il faut apprendre à les utiliser à bon escient. Plusieurs conditions doivent être réunies pour cela.

Le contrôle mécanique de son sphincter, qui se fait par la découverte de la possibilité de « faire pipi » quand on le décide, et de s’arrêter dans les mêmes conditions.

L’envie d’apprendre à « être propre », c’est-à-dire à enlever les couches, à faire dans le pot ou sur les toilettes comme les grands, à devenir grand ; mais aussi la capacité à ressentir le besoin quand le premier sphincter s’ouvre et que la pression sur le second vient avertir de la nécessité de vider la vessie.

Or ces enfants, qui ont vécu dans des conditions parfois précaires, n’ont pas appris à « écouter » leurs sensations. Ils ont même plutôt appris à les taire et à les négliger puisque leurs besoins n’étaient pas totalement et inconditionnellement satisfaits comme c’est le cas de la plupart des enfants élevés par leurs parents. Ils doivent donc apprendre à s’écouter, à ressentir, puis à exprimer ces ressentis.

De plus, ils n’ont pas d’emblée envie de grandir. La période de régression, où se rejouent les étapes antérieures du développement de l’enfant, est l’expression d’un réel besoin d’attention et de soins habituellement dispensés à un nourrisson plus jeune.

Si l’arrivée d’enfants âgés de 1 à 3 ans dans l’adoption internationale a mis en lumière les conséquences d’un retard d’acquisition de la propreté qui existait auparavant, comment cela se passait-il pour ces « petits-moyens » avant leur adoption ? N’ayant été changés qu’à heures fixes, en fonction d’un rituel quotidien et non en fonction de leurs propres besoins, ils ne connaissent pas la sensation agréable du linge sec, l’odeur du propre ; ou s’ils la connaissent, elle est assimilée au moment où ils vont être remis dans leur lit, seuls et sans autre stimulation que le balancement auquel ils s’adonneront. Au contraire, la chaleur humide de la couche pleine leur est familière et devient une sensation rassurante qu’ils peuvent avoir du mal à quitter. Pour ce faire, il leur faudra découvrir d’autres sensations agréables comme la caresse de la main qui les lave dans le bain, la douceur du contact de la peau de papa ou maman, le bercement dans les bras. Mais aussi le plaisir d’être remis au sec dès qu’on se mouille ou de déambuler sans couche. Tout cela fait partie intégrante de l’apprentissage de la propreté, le décalage est donc grand pour ces enfants ayant vécu leurs premières années en collectivité.

Les enfants arrivés après 3 ans ont pu être mis sur le pot à heures régulières, souvent à partir de 2 ans ; les plus curieux y auront appris comment faire marcher leur sphincter et déclencher la miction, ne serait-ce que pour être plus rapidement libéré d’une position pas toujours très confortable et surtout qui les empêche de bouger. Mais ils n’auront pas appris à identifier le besoin. Les accidents ne seront donc pas rares à l’arrivée en France, même si, à l’école, les choses se passent plutôt bien puisque on y garde cette habitude de proposer les toilettes à heures régulières. « Il est absorbé par ses jeux », « il n’ose pas demander », voire « il fait exprès », sont des sentences fréquemment utilisées à l’encontre de ces enfants. Mais non, ils ne sentent pas qu’ils ont besoin ! Ils doivent apprendre à sentir leur corps, à exprimer leurs émotions, à identifier ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes, et cela ne se fait pas en un jour ! Il faudra beaucoup de patience, d’activités mettant en jeu les cinq sens, de verbalisation des émotions pour que ce « petit-grand » comprenne ce qui se passe et comment il peut agir.

La propreté nocturne Énurésie : des causes multiples

La propreté nocturne s’acquiert généralement plus tardivement, même si, pour certains enfants, elle se fait dans la foulée de la propreté diurne, car elle met en jeu d’autres mécanismes. Pendant le sommeil, le cerveau relâche sa vigilance et ne peut assurer le contrôle des sphincters ; tout repose donc sur le premier sphincter et sur sa tonicité qui nécessite une certaine maturation. De son côté, la vessie va augmenter progressivement sa capacité, de façon à pouvoir contenir les urines de plusieurs heures ; les nuits sont longues chez les petits ! Enfin, un système hormonal vient réduire la production d’urines durant la nuit, ce qui facilite une contention plus longue.

Ces deux derniers processus se mettent en place entre 2 et 5 ans, en lien avec la maturation globale de l’enfant, si bien qu’on ne parle pas d’énurésie nocturne pathologique avant l’âge de 6 ans.

L’acquisition de la propreté nocturne va reposer sur la concordance de ces différents phénomènes visant d’une part à augmenter la capacité de rétention (taille de la vessie, tonicité du sphincter) et d’autre part la diminution du volume urinaire (sécrétion de l’hormone antidiurétique, nuits plus courtes), mais aussi sur la capacité de l’enfant à ressentir le besoin, même dans son sommeil, et à se réveiller à ce signal. C’est ce qui explique que la propreté commence généralement à la sieste (durée moins longue, sommeil moins profond).

Énurésie : des causes multiples

Les infections urinaires à répétition, responsables de microlésions, peuvent altérer la tonicité des sphincters ou du périnée, cette sangle musculaire sur laquelle ils s’appuient. Sans parler des maltraitances sexuelles (attouchements ou abus) qui, non seulement viennent perturber les sensations, mais peuvent aussi avoir lésé les muscles du périnée et l’intégrité du sphincter.

La qualité du sommeil peut aussi intervenir dans l’avènement de « nuits sèches ou mouillées », car on imagine facilement que des nuits agitées, peuplées d’angoisses et de cauchemars, ne facilitent pas l’installation d’un processus de maturation qui, par définition, suppose du calme et de la sérénité.

Enfin, certaines maladies comme la drépanocytose ou les apnées du sommeil associées à une sécrétion insuffisante d’hormone antidiurétique peuvent être responsables d’énurésie.

Retard de maturation, refus de « grandir », difficulté à ressentir le besoin, faiblesse des sphincters… on comprend aisément que les enfants adoptés un peu plus grands ont de multiples raisons de faire « pipi au lit » un peu plus tard que les autres. Si une attitude compréhensive est en général de mise, il ne faut pas se dispenser d’un bilan médical et urologique à la recherche d’une cause organique à traiter en priorité. C’est en identifiant le ou les mécanismes responsables de l’énurésie nocturne que l’on trouvera le traitement adapté lorsque l’enfant sera demandeur : médicament pour renforcer le sphincter, hormone antidiurétique le soir au coucher, ou rééducation périnéale sont les principales méthodes employées, associées à une prise en charge psychologique pour aider l’enfant à se sentir acteur de sa guérison.

Comme on peut le remarquer, le processus d’apprentissage de la propreté diurne et nocturne, en dehors des conditions physiologiques indispensables, nécessite aussi un degré de maturité à différents niveaux. Il n’est donc pas étonnant que les enfants adoptés dont on connaît l’immaturité relative à l’arrivée, en lien avec les carences qu’ils ont vécues dans leur petite enfance, rencontrent aussi des problèmes dans ce domaine. Les choses se mettront en place l’une après l’autre, certes avec retard, mais sans doute sans anicroche pour peu qu’on laisse du temps au temps. Et si, à l’aube de ses 3 ans, un enfant n’est pas encore propre, n’est-ce pas un bon argument pour retarder son entrée en maternelle et lui offrir une année de crèche ? Il y gagnera en maturité pour toutes les étapes de son développement psychomoteur et cela constituera un atout de réussite et non une « perte de temps ».

En savoir plus

  • www.pipi-au-lit.net : des conseils pour enfants et parents, un quizz et un carnet à télécharger à destination de l’enfant.
  • www.alaise-enuresie.com : association de familles d’enfants énurétiques avec des témoignages et une bibliographie fournie.