Anomalies des membres

Les « anomalies des membres » sont un point qui figure souvent soit dans les projets d’apparentement, soit dans les questionnaires proposés par les pays d’origine ou les organismes en charge des enfants adoptables. Pour autant ces « anomalies » regroupent des pathologies qui diffèrent tant dans leur origine que dans leur prise en charge, selon le segment de membre qu’elles touchent, et selon la nature même de l’anomalie. Par ailleurs, le segment de membre en trop, en moins ou déformé, ne peut-il pas cacher une autre pathologie interne ? Comment s’y retrouver quand on n’est pas « de la partie » ?

Un doigt (ou un orteil) en plus ?

Ce petit doigt surnuméraire a fait couler beaucoup d’encre ; ne cache-t-il pas parfois une pathologie plus lourde ? Tout dépend de la nature même de ce doigt en trop.

Le plus souvent, il s’agit d’un embryon de doigt, incomplet, la plupart du temps sans os ni cartilage, sans vaisseau sanguin, et surtout sans innervation ; une petite excroissance charnue, située en général à côté d’un doigt normal. C’est le résultat d’un dérapage lors de la formation in utero des doigts de la main ou du pied. Un accident banal qui ne touche que cette extrémité – parfois plusieurs membres parce qu’ils se forment au même moment – mais ne touche aucun autre organe car il est spécifique à l’action précise de ce moment de la grossesse à cet endroit, comme un défaut de fabrication sur une pièce détachée dans une chaîne de montage. Un peu de chirurgie pour supprimer cette excroissance inesthétique et il n’y paraîtra plus.

Plus rarement, il peut exister un vrai doigt surnuméraire, sur l’un ou plusieurs des quatre membres, on parle alors de polydactylie. Ce doigt est parfois tellement semblable aux autres qu’il peut passer inaperçu si on ne prend pas la peine de les compter ; cela fait partie de l’examen systématique du nouveau-né à la naissance. Dans ce cas, il correspond à une erreur de « programmation », et on imagine très bien que les programmes voisins sur le gène responsable peuvent aussi être touchés, d’où la possibilité de pathologies associées. Il existe un certain nombre de syndromes qui comportent un ou plusieurs doigts surnuméraires. Il serait trop long de les décrire ici, mais une consultation génétique peut être utile pour guider le diagnostic en fonction des éléments associés connus ou potentiels (à rechercher). Parmi les pathologies les plus connues et redoutées : le syndrome de Bardet Bielt et les syndromes apparentés, qui peuvent allier des troubles visuels, métaboliques et mentaux sévères à une polydactylie. Mis à part la prise en charge d’une éventuelle pathologie connexe, la réparation chirurgicale est possible bien que plus complexe car on se trouve devant un doigt complet, avec une phalange, des vaisseaux sanguins et des nerfs, mais les résultats esthétiques seront aussi bons.

L’absence d’un membre ou d’un segment de membre

Quand il manque un membre ou un segment de membre, l’origine du trouble a aussi son importance pour évaluer la possibilité ou non de troubles associés. Le plus souvent, une partie du membre présente une croissance incomplète. Le bourgeon à l’origine du membre s’est arrêté de pousser en cours de route, pour des raisons mécaniques. Il s’agit la plupart du temps d’une maladie des brides amniotiques : pour des raisons diverses et parfois mystérieuses, des ponts fibreux se sont formés à l’intérieur de l’utérus, qui viennent barrer le chemin du membre en cours de croissance, l’empêchant d’aller plus loin. Cet accident peut toucher n’importe quel membre, à n’importe quel niveau, réalisant des tableaux à la naissance allant de l’absence quasi totale d’un bras ou d’une jambe, jusqu’au simple manque de phalange sur un ou plusieurs doigts, en passant par des interruptions intermédiaires au-dessus ou au-dessous du coude ou du genou. L’observation fine du moignon du membre touché permet de visualiser les micro-bourgeons qui n’ont pas pu se développer ainsi que parfois un sillon marquant le passage de la bride fibreuse, signant ainsi l’origine accidentelle intra-utérine. Ce sont bien des séquelles d’un accident antérieur et qui n’évoluera plus dans un sens ni dans un autre. La prise en charge dépend essentiellement du membre et du niveau auquel il est touché. L’enfant qui naît avec cette anomalie va construire son image corporelle en tenant compte de l’absence ; son développement psychomoteur se fera normalement, en intégrant les membres qu’il a à sa disposition. Un enfant à qui il manque un doigt, voire une main, ne se sentira pas plus handicapé que vous et moi avec nos deux mains et nos dix doigts. C’est le regard des autres qui, le plus souvent, viendra appuyer sur ce handicap et le rendre dérangeant. Pour certains gestes qui nous paraissent infaisables sans l’aide de nos quatre membres intacts, ils trouveront des parades pour développer une autonomie souvent suffisante au quotidien. Il reste cependant des fonctions impossibles sans appareillage comme marcher et courir avec une seule jambe, jouer du violon avec une seule main. Pour cela, des appareils peuvent être proposés, comme les béquilles pour marcher, mais aussi plus sophistiqués, les prothèses. Véritable membre de substitution, la prothèse, si elle est envisagée, doit l’être le plus précocement possible, de sorte que l’enfant l’intègre dans son schéma corporel et l’utilise de façon naturelle. Prothèse ou pas, c’est une décision que devront prendre les parents pour leur enfant, parce qu’à un âge où il n’est pas en capacité de s’exprimer, et qui engage son avenir ; difficile pourtant de savoir quels seront les centres d’intérêt de ce nourrisson. Bien sûr, il est toujours possible d’envisager une prothèse ultérieurement, mais on se situera dans un cadre de « rééducation » comme pour une personne ayant perdu un membre accidentellement à un âge plus avancé, l’utilisation en sera moins naturelle et demandera plus de temps d’adaptation.

Aplasie et agénésie

Un autre cas de figure, plus rare, est l’absence de membre ou de segment de membre par manque du bourgeon initial, on parle d’aplasie ou d’agénésie. On se retrouve encore dans une anomalie de « programmation », donc avec le risque de malformation associée. Si l’on reprend l’image de la chaîne de montage, il y a un oubli dans la check-list. Le membre touché a un aspect « bien fini » mais avec un bout en moins. Ce peut être le résultat d’une anomalie génétique, ou d’un accident pendant la grossesse (accident vasculaire, infection virale, toxicité médicamenteuse) qui touchera potentiellement tous les organes en cours de fabrication à ce moment-là, d’où l’association de malformations ou d’anomalies qui peuvent paraître disparates mais ont en commun leur calendrier pendant la grossesse. Un exemple tristement célèbre est celui des enfants nés sans bras et sans jambes suite aux traitements des femmes enceintes par la Thalidomide après-guerre (entre 1956 et 1962, la Thalidomide était proposée pour soulager les nausées des femmes enceintes. 10 000 enfants sont nés dans le monde avec des membres atrophiés, voire sans membres).

Une consultation génétique peut, là encore, être utile pour déterminer quel type de pathologie peut être lié à telle ou telle aplasie. Les syndromes décrits sont nombreux : parmi les plus connus, l’aplasie du pouce dans la maladie de Fanconi qui inclut une anémie grave. La prise en charge, notamment au regard de la possibilité de prothèse, est plus complexe, car l’absence de bourgeon initial signifie souvent l’absence ou l’insuffisance des éléments (muscles, nerfs, vaisseaux sanguins) concourant à une fonction définie. Une phase d’éducation plus proche de la rééducation sera indispensable pour appareiller ces enfants qui néanmoins développent, eux aussi, des trésors d’ingéniosité pour acquérir leur autonomie.

La Revue Accueil

Accueil est une revue trimestrielle réalisée par EFA. C’est la seule revue française consacrée à l’adoption. Accueil propose des témoignages d’adoptés et d’adoptants, des textes émanant de travailleurs sociaux, psychologues, psychanalystes, sociologues, juristes, écrivains.

Les syndactylies

D’autres malformations des extrémités peuvent exister, venant s’ajouter à ces anomalies de nombre. Parmi les plus fréquentes, les syndactylies consistent en une fusion de plusieurs doigts, réunis soit seulement par la peau, soit plus profondément au niveau des muscles et même des os. Ces anomalies peuvent être isolées et accidentelles, mais peuvent aussi entrer dans un tableau poly-malformatif plus complexe. Banales au niveau local et pouvant facilement être « réparées », elles peuvent donc aussi cacher d’autres anomalies et méritent un conseil génétique compétent.

Plus rarement, on peut voir des malformations complexes notamment au niveau de la main « en pince de homard » qui associent une anomalie de nombre et des malformations de la constitution même de la main tant au niveau osseux que musculaire et nerveux. On retrouve dans ces cas, qui peuvent paraître beaucoup plus difficiles à vivre, la même faculté de l’enfant d’acquérir une autonomie en utilisant les moyens dont il dispose et que son cerveau a identifiés comme étant « la norme ». Bien sûr, la chirurgie réparatrice fait des miracles dans ce domaine, mais, encore une fois, les parents devront en prendre la décision pour leur enfant : avec, d’un côté, une recherche de « normalité » au prix de multiples interventions chirurgicales, et de l’autre, des capacités d’adaptation et d’autonomie étonnantes mais qui ne cessent d’intriguer les observateurs non avertis.

Bien que d’origines très variées, les anomalies de nombre touchant les membres ont cependant en commun des capacités d’appareillage et de rééducation qui les classent dans les handicaps physiques. Dans le cas d’enfants adoptés, ces malformations sont, de plus, souvent à l’origine de l’abandon initial : visibles pour la plupart du grand public, elles sont susceptibles d’engendrer des réflexions qui viendront, une fois encore, raviver la blessure narcissique commune à beaucoup d’enfants adoptés et entamer la construction de l’estime de soi, parfois si fragile chez eux.

Des anomalies assez rares

Ces anomalies, relativement rares, concernent peu d’enfants :

  • La maladie des brides amniotiques atteint 1 à 4 nouveau-nés sur 100 000.
  • En France, chaque année, une centaine d’enfants naissent avec une malformation d’un ou plusieurs membres.

En savoir plus

  • Association ASSEDEA : l’Assédea apporte un soutien aux familles d’enfants nés avec une malformation de membres (essentiellement agénésie). Pour aider les parents, les rassurer, pour leur permettre de rencontrer et d’échanger avec d’autres familles. Le site comporte de nombreuses ressources (témoignages, référencement de professionnels et centres ressources, appareillage, démarches administratives…), des actus, etc.
  • Vivre avec une malformation des membres,
  • Syndactylie.