Ni humanitaire ni adoption : chronique d’une supercherie numérique

Le 14 février 2014, Eric Breteau et Emilie Lelouch, les deux responsables de l’association Arche de Zoé, ont été condamnés par la cour d’appel de Paris à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à cinq ans d’interdiction de travailler avec des enfants, pour exercice illégal d’intermédiaire à l’adoption et escroquerie au préjudice des familles qu’ils avaient convaincues de soutenir leur projet. La cour d’appel n’a pas retenu le motif pour tentative d’entrée ou de séjour de mineurs en situation irrégulière, pour lequel ils avaient également été condamnés en première instance. Enfance & Familles d’Adoption regrette qu’une fois encore, comme l’avait souligné Danielle Housset, présidente d’honneur d’EFA, lors du procès de 2012, « les plus grandes victimes… sont les enfants qui… font les frais de la folie, de la mégalomanie, de l’inconscience ou de la manipulation des adultes ».

Le 12 février 2013, le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement dans le procès de l’affaire dite « Arche de Zoé ». Les deux ex-responsables de l’association, Eric Breteau et sa compagne, Emilie Lelouch, ont été condamnés à trois ans de prison dont un an avec sursis.

L’association Arche de Zoé a été condamnée à 100 000 euros d’amende. Les autres protagonistes inculpés dans cette affaire ont été condamnés à des peines de prison avec sursis de 6 mois à un an.

Lundi 3 décembre 2012 s’est ouvert le procès de l’affaire dite Arche de Zoé devant la 15ème chambre du tribunal correctionnel de Paris.

EFA, qui est partie civile, a été la première à publier une alerte.

Danielle Housset, présidente d’honneur d’Enfance & Familles d’Adoption, s’est exprimée le 10 décembre 2012 devant le tribunal dans le cadre de ce procès. Elle a rappelé pourquoi et comment EFA était intervenue dès mai 2007. Elle a souligné la violence faite aux enfants par leur instrumentalisation, et démontré que la vulnérabilité de candidats à l’adoption a été exploitée jusqu’aux derniers moments de cette tentative d’évacuation d’enfants du Tchad. (lire son intervention)

Et les enfants? Séparation, sentiment d’abandon, problèmes de sommeil chez les enfants; “les familles n’ont ainsi pas forcément retrouvé l’enfant qu’elles ont laissé”; familles pouvant ressentir de la culpabilité… Des traces subsistent de cette tentative d’enlèvement au Tchad en octobre 2007 alors qu’un procès est annoncé pour 2011. lire la suite… sur le blog Osi-Bouake

Retour sur cette affaire

Nous sommes au printemps 2007. Les responsables d’EFA pointent déjà l’évolution de l’adoption internationale et la baisse prévisible du nombre d’enfants confiés par les pays d’origine qui, depuis, se sont confirmées. De plus en plus de pays prennent de nouvelles orientations dans leur politique d’adoption. L’Agence française de l’adoption (AFA) n’a pas apporté la réponse aux espoirs que sa création avait suscités deux ans plus tôt. Les délais d’attente se font plus longs, l’inquiétude gagne certains candidats. Ils sont quelques-uns à manifester leur mécontentement sous les fenêtres de l’AFA, ce printemps-là. Ils sont bien plus nombreux devant leurs ordinateurs, à s’informer, s’interroger et échanger entre internautes sur les listes de discussion et les forums dédiés à l’adoption.

En parallèle, les médias relaient des reportages sur les urgences dans différentes régions du monde, dont le Darfour. On découvre alors des photos de populations jetées sur les routes, ou rassemblées dans des camps de réfugiés comme ceux que l’on a pu voir dans le film de Radu Mihaileanu : Va, vis et deviens (sorti en DVD quelques mois plus tôt). Les gros plans sur ces vieillards, ces femmes, ces enfants suscitent une vive émotion sur laquelle jouent les ONG dans leurs appels à dons. Ces ONG sont partagées sur la meilleure manière d’agir dans cette région du Soudan à la frontière du Tchad.

C’est dans ce contexte qu’une association, créée par des personnes intervenues en Asie du Sud-Est lors du tsunami de décembre 2004, commence à faire parler d’elle sur la toile. Elle propose un « sauvetage » de 10 000 enfants (nombre ensuite revu à la baisse), qui seraient évacués par avion vers la France et d’autres pays occidentaux. Pour cela, il lui faut des fonds, et des familles susceptibles d’accueillir bénévolement ces enfants. Les invitations à contacter l’association se multiplient sur les listes de discussion dédiées à l’adoption, renvoyant vers un site qui présente une procédure qui résiste mal à une lecture juridique rigoureuse, mais qui laisse entendre que les familles qui accueilleraient des enfants pourraient ensuite les adopter. C’est encore par Internet que les familles intéressées sont invitées à assister à des réunions publiques en diverses villes – des réunions qui rassurent par le profil juridique et médical des personnes qui interviennent aux côtés des « responsables » de l’association. Séduites par ce dispositif qui leur permet d’espérer adopter, des familles relaient à leur tour le message de l’association et de ses dirigeants. Des débats animés s’engagent alors sur les listes et les forums, d’autres candidats à l’adoption exprimant leurs doutes sur la légalité de cette procédure. Dès le mois de mai, EFA met en garde contre les risques d’amalgame entre cause humanitaire et projet d’adoption.

Un matin d’octobre 2007. Une centaine de familles attend sur un aérodrome, à l’est de Paris, l’arrivée d’un avion qui n’arrivera jamais. La veille, les organisateurs ont été arrêtés par les autorités tchadiennes alors qu’ils s’apprêtaient à évacuer 103 enfants. Ils sont jugés, condamnés, puis envoyés purger leur peine en France, dans l’attente d’un deuxième procès. Le site, lui, a changé d’adresse url et de contenu.

De porteur d’espoir, le site s’est transformé en un espace de communication pour ceux qui, par Internet interposé, ont joué sur les élans compassionnels, les espoirs de parentalité et la crédulité. Ceux qui ont pu croire en eux ont aujourd’hui le sentiment de s’être fait piéger dans un réseau d’informations véhiculées à vive allure. Il est d’autant plus difficile de résister à ce type d’emballement numérique, de prendre le temps de démêler le sérieux de l’invraisemblable quand cela touche des projets aussi intimes. Ce qui s’est passé cette année-là pourrait se rejouer sous d’autres formes, sous d’autres cieux ; c’est la raison pour laquelle il est si important de ne pas rester isolé, de ne pas se contenter de glaner des renseignements sur un écran d’ordinateur, mais de se rapprocher de sources d’information fiables, pour mieux résister à l’attirance presque hypnotique que suscite toute lueur d’espoir, dans un contexte où le doute et l’incertitude de l’attente génèrent une inévitable vulnérabilité.

Pour aller plus loin

Christian Troubé, Les Forcenés de l’humanitaire. Les leçons de l’Arche de Zoé.
Éditions Autrement, 2008.