LADJALI Cécile, Shâb ou la nuit, Actes Sud, 2013

Alors qu’elle méprisait l’autofiction la considérant comme des textes complaisants sans profondeur, Cécile Ladjali s’est laissé dicter l’écriture de Shâb comme un commandement et on l’en remercie. À travers des pages émouvantes, elle revient sur ses années d’enfance, petite fille puis jeune fille trop brune qui peine à trouver sa place, et rend hommage à ses parents adoptifs, trop tôt disparus : son père, déchiré par sa propre histoire, muré dans son silence et sa violence, sa mère, la belle Jeannine, discrète et adorée. Adoptée bébé, Cécile a été sevrée de mots pour comprendre son histoire, son abandon. Alors, très vite, elle découvre la lecture et l’écriture : « j’ai compris très tôt que pour ne pas me laisser envahir par le silence, il fallait aller à la recherche des mots. Parler le plus possible. Écrire aussi. » Elle deviendra donc enseignante en littérature et écrivain. Alors qu’elle est déjà mère d’un petit garçon, envahie par la souffrance, anorexique pour ne plus être « un sac à merde », elle finit par rencontrer sa mère biologique. Retrouvailles douloureuses où les mots se font durs, mais qui lui permettent d’aller de l’avant, de mettre au monde un nouvel enfant et de se mettre au monde par et avec les mots.

https://www.amazon.fr/Sh%C3%A2b-ou-nuit-C%C3%A9cile-Ladjali/dp/2330017855

Hélène Delhamende, La maison de l’autre côté du lac, Edilivre, 2017

Le nouveau roman de l’auteur belge que l’on connaissait pour son récit autobiographique Ma mère quand ça l’arrange. Un adolescent, ou plutôt un pré-adulte, s’ennuie depuis trop longtemps dans un orphelinat où tous les jours se ressemblent. Il rêve d’ailleurs et d’une vie où il se sentirait exister vraiment. Il rêve surtout d’une mère, de celle qui s’est absentée dans son enfance et qu’il espère toujours retrouver, ou d’une autre qui pourrait combler ce vide et ce manque d’amour maternel, ou d’amour tout court. Cet ailleurs se trouve à portée de vue, dans une maison, juste sur l’autre rive du lac. Toute une aventure débute là, dans cette maison qui offre à cet orphelin des parenthèses de vie merveilleuses et des rencontres inimaginables dans sa vie ordinaire ; une aventure ou plutôt une quête vers la prise en main de son destin. Ce roman, écrit à la première personne, d’une écriture très féminine (malgré le personnage masculin), surprend le lecteur en le promenant, par un récit entre réalité et imaginaire, souvenirs et fantasmes, voire fiction dans la fiction.

https://www.amazon.fr/Maison-lautre-c%C3%B4t%C3%A9-lac/dp/2414103906

 

Xavier de Moulins, Les hautes lumières, JC Lattès, 2017

Histoire de maternité et histoire d’amour, histoires qui se croisent, histoire de choix. Nina n’arrive pas à devenir mère, le diagnostic est sans appel : Vous ne serez jamais mère. Son mari Tahar la soutient, la porte dans l’espoir et le désespoir. C’est une kafala familiale qui leur permettra d’être parents mais l’administration française leur refuse le visa pour l’enfant. Commence alors une quête afin de trouver une solution pour faire sortir l’enfant du Maroc. Tandis que Nina se débat au Maroc, Tahar rencontre Françoise, une photographe qui va lui proposer son aide mais dont il va également tomber amoureux.

On est happé par la belle écriture sans fioriture de l’auteur (phrases courtes, percutantes, chapitres très courts) qui interroge la puissance destructrice de nos désirs, l’ambivalence des êtres et les caprices du destin. Xavier de Moulins se glisse avec réalisme dans la peau de cette femme, qui se perd dans son désir d’enfant et se noie dans le bonheur d’être enfin mère, et dans celle de cet homme discret et timide. h

ttps://www.amazon.fr/hautes-lumi%C3%A8res-Xavier-Moulins/dp/2709660598

 

Estelle Lambert-Leynaert, Ce lien jusqu’à toi, Michalon, 2021

L’autrice et son époux commencent un parcours de PMA alors qu’ils résident en Nouvelle-Calédonie. Face aux échecs renouvelés, ils décident de fonder une famille différemment : ils se tournent vers l’adoption et la Colombie leur confiera un petit garçon âgé de 7 mois. Au-delà de l’histoire personnelle et particulière, Estelle Lambert-Leynaert insiste sur les spécificités de la filiation adoptive, la nécessité de faire cocon à l’arrivée de l’enfant, la théorie de l’attachement, les questions que se posent tous les parents adoptants.

Un livre plein d’espoir mais qui ne cache pas les difficultés rencontrées dans un tel parcours, ni celles liées à la parentalité adoptive.

https://www.michalon.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=69806

Ce commentaire a été publié dans le numéro 201 de la revue Accueil

Mathilde Faure, Filles du vent, Charleston, 2021

L’Escale, un foyer de l’Aide sociale à l’enfance, accueille des jeunes filles aux parcours de vie cabossés, placées par décision judiciaire. Leur quotidien est fait d’agressivité, de violence physique et morale, de solitude, de fugues : leur « sport » préféré. Seule Assa comprend que les études sont sa bouée de secours, la clé de son indépendance future. Par ses lectures, elle découvre le mouvement « Nous toutes » qui lutte contre les agressions sexistes et sexuelles. Alors, sans qu’un réel lien d’amitié les unissent mais se sentant concernées par cette cause, Assa, Céline et Lina décident d’organiser une fugue grand format à travers la France pour coller des affiches afin de briser le silence qui règne sur leurs existences. Au cours de ce périple, chacune découvre peu à peu des notions qui leur étaient étrangères jusque-là comme l’amitié, la solidarité et le besoin d’être respectées. L’envie aussi de commencer à penser à leur avenir…

Avec une grande finesse et non sans humour parfois, Mathilde Faure, ancienne éducatrice spécialisée, dresse des portraits saisissants témoignant de ce monde invisible des enfants placés et de leurs éducateurs. Instructif et passionnant pour qui veut comprendre la vie que mènent ces adolescents.

https://www.decitre.fr/livres/filles-du-vent-9782368126455.html

Ce commentaire a été publié dans le numéro 201 de la revue Accueil

Akira Mizubayashi, Âme brisée, Gallimard 2019

Tokyo, 1938, en plein conflit sino-japonais, des militaires font irruption dans la salle où Yu et ses trois amis chinois, restés vivre au Japon, répètent Rosamonde de Schubert. Le quatuor est embarqué manu militari, le violon de Yu détruit. Rei, le fils de Yu, que son père avait caché, échappe à la rafle mais ne reverra jamais son père. C’est un officier japonais, lui aussi mélomane, qui délivre l’enfant et lui remet le violon sauvagement fracassé. Le traumatisme de cette scène fait naître chez Rei le désir de devenir luthier, choix que ses parents adoptifs respectent. En effet, ayant perdu sa mère en bas-âge, Rey est adopté en France par des amis de son père. Grâce à son métier, il retrouvera ceux qui ont connu son père… Un récit d’une grande profondeur où se mêlent souvenirs, déracinement, deuil, autant de thèmes traités avec une grande pudeur. Une fois n’est pas coutume, c’est grâce à la musique classique qu’un orphelin renoue avec son enfance et restaure « l’âme » du violon de son père.

https://www.decitre.fr/livres/ame-brisee-9782072921216.html

Ce commentaire a été publié dans le numéro 200 de la revue Accueil

Kim Thúy, em, Liana Levi, 2021

Une suite de portraits saisissants du Vietnam, depuis l’époque de la colonisation française jusqu’à la fin de la guerre américaine, avec ses atrocités, mais aussi ses élans de solidarité. Par touches successives, on découvre des enfants nés de relations entre des soldats américains et des femmes vietnamiennes. Le plus souvent se sont des orphelins, des bébés, abandonnés dans les rues de Saigon dans des boîtes en carton ; d’autres, plus grands, tentent de survivre en chapardant pour se nourrir. Lors du baby lift à destination des États-Unis où des familles adoptantes les attendent, certains d’entre eux explosent en vol.

Les Vietnamiens les plus « chanceux » sont évacués pendant l’opération Frequent wind dans une atmosphère de fin du monde. Une fois arrivés, ils se lancent dans l’industrie du vernis à ongles, ouvrent des salons de manucure où, à force de travail, ils feront fortune. Ils ont laissé derrière eux des forêts dévastées par les herbicides et les dioxines, des rizières asséchées, des enfants aux innombrables malformations congénitales. Pourtant, deux des personnages devenus adultes se retrouvent, leur histoire d’amour donne son sens au livre et à sa couverture : une boîte en carton d’où s’échappent des fils. Bouleversant.

https://www.lianalevi.fr/catalogue/em/

Ce commentaire a été publié dans le numéro 199 de la revue Accueil

Jean Baptiste Andréa, Des diables et des saints, L’iconoclaste, 2021

Joseph, un homme d’âge mur, joue du piano – uniquement du Beethoven – sur les pianos publics que l’on trouve parfois dans les gares et les aéroports. Son talent lui vaut l’admiration des voyageurs mélomanes mais Joseph n’attend pas la reconnaissance, il attend quelqu’un. Il a 16 ans lorsque ses parents et sa sœur meurent dans un accident d’avion, et il est placé dans un pensionnat religieux des Pyrénées : Les Confins. Les journées de maltraitance s’écoulent sous l’œil de l’abbé Sénac, un homme sadique et un peu pervers, censé veiller sur eux. Jusqu’au jour où Joseph rencontre Rose, une jeune fille à qui il doit apprendre à jouer du piano… Avec ses copains orphelins, ils échafaudent d’autres vies que la leur, chacun se met à rêver de jours meilleurs et d’une évasion qui les libèrera de cet orphelinat. On découvre alors la capacité des enfants à s’enfuir de leur quotidien grâce à leur imagination. C’est le côté positif de ce roman, qui parvient à nous faire sourire et même à nous faire rire et, surtout, qui change le regard habituellement porté sur les enfants malmenés par la vie. Ce roman sur la musique est aussi une belle histoire d’amitié et une histoire d’amour.

https://editions-iconoclaste.fr/livres/des-diables-et-des-saints/

Ce commentaire a été publié dans le numéro 199 de la revue Accueil

Louise : comment j’ai adopté mes parents, L’Ermitage, 2020

Louise, née sous le secret, est accueillie à la pouponnière de l’Ermitage, à Mulhouse. Nous suivons pas à pas l’évolution de la petite fille, ses émotions, ses rencontres, les liens qui se créent avec Suzanne, sa référente, jusqu’à son adoption. À travers l’histoire de ce bébé, nous découvrons la prise en charge des enfants confiés dès la naissance, comment ils sont entourés, mis en confiance et mis « au monde ». Un coup de chapeau aux très belles illustrations d’Anne Malher qui, grâce à des fonds de couleur changeants, nous immergent dans les émotions de Louise. Un livre qui pourra aussi, avec l’album de vie, servir de support pour raconter leur histoire aux enfants confiés à la naissance.

À commander à l’Ermitage : secretariatdirection@ermitagemulhouse.fr

Ce commentaire a été publié dans le numéro 198 de la revue Accueil

Julie Foulon, Sara et Tsega, Éditions Baudelaire, 2020

Sara, 6 ans, et Tsega, 4 ans, sont emmenées – dans la clandestinité – dans un orphelinat éthiopien. En grande difficulté matérielle après la mort de son mari, et sous la pression de ses autres enfants adultes, la mère confie à Sara un « secret » qu’elle ne devra révéler sous aucun prétexte. Au terme d’un court séjour à l’orphelinat, les deux fillettes arrivent en France et sont « livrées » à un couple, sans aucune préparation. Avec son regard et ses mots d’enfant de 6 ans, Sara nous fait vivre l’étrangeté, l’incompréhension et les malentendus qu’elle ressent auprès de ce couple, qu’elle juge accueillant mais un peu trop insistant. On ne s’étonnera pas que cette enfant ne puisse se résoudre à appeler ces adultes « Papa et Maman ». Lorsqu’elle finit par avouer son secret pour se libérer d’un poids trop lourd à porter, mais aussi dans l’espoir de retrouver sa famille d’origine, personne ne la croit et le climat familial se détériore. L’état psychologique de Sara se dégrade au fur et à mesure qu’elle réalise que sa mère ne viendra pas les chercher comme elle le lui a promis. Les relations avec ses parents adoptifs ne font que s’envenimer. Au terme de longues années de difficultés et de désespoir, et d’une année de séparation, Sara finira par renouer avec ses parents adoptifs, qui en toute bonne foi souhaitaient devenir parents de celles qu’ils pensaient être leurs filles. Ce témoignage poignant et très dérangeant est une sorte de tragédie qui laisse un goût amer. Entre mensonges et vérités, on peine à démêler les motivations et le rôle qu’ont joué les adultes qui ont participé à cette double adoption.

https://www.editions-baudelaire.com/auteur/julie-foulon/sara-et-tsega

Ce commentaire a été publié dans le numéro 198 de la revue Accueil